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dimanche 6 avril 2014

Les mangas historiques ont le vent en poupe

Virtus, manga de propagande rugueux et brutal

Les éditions Ki-oon proposent depuis peu Virtus, un manga très ambigu sur une idée autrement exploitée dans Thermae Romae :  des japonais se retrouvent dans l'antiquité romaine. Là où la mangaka Mari Yamazaki déroule un amusant conte fantastique, burlesque et documenté, le duo Gibbon-Hideo Shinanogawa ne démontre pas la même finesse loin s'en faut. Chez eux, dans un genre seinen déjà bien balisé, une sorcière aide une opposante au cruel empereur Commode à trouver le guerrier ultime (le gladiateur ultime, aussi) capable d'empêcher l'effondrement de l'Empire et possédant ces vertus perdues de Virtus, autrement dit une haute conscience morale doublée d'une condition physique de titan, le tout baignant dans des relents de nostalgie nationaliste japonaise. L'élu est en effet un colosse judoka, ancien champion du monde qui a assassiné son père, judoka comme lui, dans ce qui semble être un accès de folie, mais dont on se doute qu'il cache une autre vérité (sinon ce ne serait pas un héros). A ce stade il convient de préciser que l'opposante à Commode va chercher des guerriers japonais qui ne sont autres que des prisonniers, assassins, voleurs et détraqués condamnés, et que d'emblée on peut se demander quelle est la valeur de la Virtus ici.
C'est que le judoka en question est pétri de règles qui démontrent sa haute probité morale, ou sa simplicité qui confine à la bêtise, c'est selon. Pour lui, tout le monde peut être sauvé, au moins grâce à des dictons naïfs et des formules toutes faites du genre "je suis là pour protéger le faible des forts" ou "même dans une fosse à purin peut s'épanouir la plus belle des fleurs". C'est important de diriger le monde avec des idées simples et efficaces. Les premiers hommes forts qu'il affronte dans l'arène romaine (oui, car la sorcière ne perd pas de temps et téléporte les prisonniers directement au cœur du spectacle, pas le temps de les briefer, the show must go on !), s'avèrent des guerriers germains sanguinaires, des brutes pas si épaisses ni stupides que cela. C'est d'ailleurs le chef de ces barbares qui est le personnage le plus intéressant des deux tomes disponibles, mais passons.
Cette série serait insignifiante (et son dessin médiocre par ailleurs, lorgnant sans vergogne du côté d'Hokuto No Ken - l'empereur Commode est "repompé" sur Raoul, le terrifiant frère de Ken) s'il n'y avait pas un bien curieux détail qui m'a immédiatement frappé et a rehaussé ma curiosité. Un des prisonniers japonais un peu cultivé explique que Virtus équivaut au Japon à évoquer Yamato, que d'aucuns connaissent comme le nom d'un puissant cuirassé japonais considéré comme l'arme ultime sur les mers et surtout symbole triomphal de l'impérialisme japonais pendant la seconde guerre (ce qui ne l'a pas empêché de se faire mettre par le fond début 45). Je vous avais d'ailleurs parlé d'un film de science-fiction glorifiant sa geste ancienne.  Mais il renvoie surtout au premier nom du Japon primitif, temps de fondation dont une certaine Virtus animait les fondateurs. Yamato cristallise ici un patriotisme et non nationalisme contemporain (comme dit dans une première analyse), d'un Empire (romain) à l'autre (Japonais) où le salut vient d'un mâle dominant dont les traits sont volontairement épurés, sorte de japonais fondamental maîtrisant le plus noble des arts martiaux. Ce manga illustre dans cette simple précision sa nature à la fois propagandiste et nostalgique d'un Japon idéal, fort, vertueux et... disparu.
Au milieu du déluge d'actions violentes et de poses édifiantes, les moments de pure propagande placent ce manga aux côtés d'autres séries ambigues, tel que Zipang de Kaiji Kawaguchi. Même le manga le plus grossier peut dissimuler des messages politiques et idéologiques en aucun cas innocents. Rappel utile en ces temps où l'expression culturelle et la liberté d'opinion (entendez, toutes les opinions) enflamment les médias et les esprits...
Sébastien Naeco
PS : merci à Victoire pour ses précisions qui permirent d'affiner la lecture de ce manga.

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